Chemin de Croix



Présentation


A première vue, ce Chemin de Croix peut passer pour être « original ». Ce n’est pourtant pas le but recherché. Il a simplement été tenté de l’inclure dans notre époque et dans notre société afin de le rendre plus proche de nous, donc moins abstrait. La Passion divine – justement parce qu’elle concerne le fils aîné de Dieu, il y a deux millénaires – peut paraître lointaine ou inaccessible.


Or, le Chemin de Croix est plus que jamais présent. Nous assistons en effet à ce que certains ont appelé le « retour de la religion ». En supposant que la religion ait jamais disparu. Ce qui est un présupposé évolutionniste qui voyait l’engagement religieux comme une force déclinante, un résidu de tradition ancestrale grignoté par l’avancée implacable de trois vecteurs de la modernité : sécularisme, rationalisation et globalisation (nous revenons à Internet et au village global). Cette conception du déclin de la religion était communément désignée sous le terme d’ « hypothèse de la sécularisation »

Pourtant, la persistance de la pratique religieuse dans les sociétés les plus « développées » était trop évidente pour être ignorée. En outre, à partir de 1950, avec le début de la révolution anticoloniale et l’émergence du « tiers-monde », l’idée selon laquelle la sortie de la religion était partout la vague de l’avenir a été sérieusement battue en brèche.

Les sociétés dont les traditions ancestrales avaient été masquées par des vernis occidentaux, agissaient soudain en leur propre nom et selon leurs propres représentations. Des pays comme l’Inde ou le Nigeria, l’Indonésie ou l’Algérie, pour ne citer que quelques exemples, ont vite montré qu’ils n’allaient pas vers plus de laïcité. Ces pays, se sont trouvés rapidement dépouillés de la mince pellicule de leurs élites occidentalisées et ont tenté de se créer une personnalité nationale, un moi collectif. Puis ils furent la proie de conflits à connotation religieuse – partition, guerre civile, massacres confessionnels, terrorisme religieux. Depuis les guerres de religion en Europe, jamais les clivages confessionnels n’avaient autant marqué les événements politiques qu’avec l’émergence sur la scène mondiale des nouveaux Etats d’Asie et d’Afrique. La crise interconfessionnelle en Irak, déclenchée par l’intrusion américaine, vient encore de montrer que l’évolution de la société moderne vers l’indifférence religieuse est loin d’être une tendance dominante. Et sans aller si loin, regardons au seuil de notre propre porte, les conflits dans l’ex-Yougoslavie ou la Tchétchénie, où se sont déroulés de sanglants affrontements ethniques et religieux. Comme si les ex-pays de l’Est après une période de glaciation ayant figé leur évolution, retrouvaient après la période coloniale soviétique, se retrouvaient comme les pays de l’ancienne Europe, un siècle auparavant.

L’Afrique, l’Asie et le Moyen-Orient n’ont donc pas l’exclusivité des conflits à caractère religieux. En outre, avec l’essor des migrations depuis un demi-siècle, les grandes religions du monde ont été peu à peu séparées des lieux, des peuples, des formations sociales, des sites et des civilisations au sein desquels et en fonction desquels elles se sont historiquement formées : l’hindouisme et le bouddhisme se sont coupés de particularités profondes de l’Asie orientale et méridionale, le christianisme de celles de l’Europe et des Etats-Unis, l’islam de celles du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord. L’une des conséquences de cette migration est que les conflits sociaux s’expriment en termes religieux (ainsi le problème des banlieues) et reviennent en force. Son corollaire est que la religion ne s’est pas affaiblie en tant que force sociale.
 

Et il n’y a pas que l’islam qui exige une telle analyse. Nous assistons au réveil hindouiste en Inde, bouddhiste en Asie du Sud-Est, évangélique et catholique en Amérique latine, ainsi qu’à l’intrusion du fondamentalisme protestant sur le devant de la scène politique aux Etats-Unis. Tous ces renouveaux  doivent être compris comme des quêtes de sens dans une situation politique changeante, marquée par des discours nationalistes et fragmentés en factions concurrentes.

Jamais depuis la Réforme et les Lumières les conflits portant sur le sens général des choses et les croyances n’ont été aussi larges et aussi aigus. Nous vivons un changement radical et nous ne pouvons nous permettre d’attendre pour le comprendre, comme nous comprenons, rétrospectivement, l’âge des Lumières et la Réforme. Nous devons l’appréhender aujourd’hui, au moment même où il se déroule.


Enfin, il faut constater que nous sommes plongés dans un monde où ont disparu les idéologies politiques et la morale qui ont été remplacées par le profit immédiat et la corruption, et où les « élites » politiques ne sont plus des guides. De sorte que la religion reste un des rares repères éducatifs qui subsistent.

Voilà pourquoi le Chemin de Croix et plus que jamais proche de nous. Chaque jour, nous le côtoyons, le traversons, le parcourons. Le drame est une proximité. Les persécutions aussi. Jamais elles n’ont semblé aussi nombreuses. Peut-être parce que nous vivons dans un îlot de paix et de prospérité, dans lequel les fuyards, les victimes ou les rescapés tentent de s’immiscer.

Beaucoup de croyants, pas toujours très pratiquants, n’ont pas su ou voulu enseigner le catéchisme et donc la passion du Christ à leurs enfants. C’est pourquoi ce Chemin de Croix se veut également didactique et lisible. Pour rappeler que le Christ est venu sur terre pour nous sauver non seulement de nos péchés, mais aussi de notre indifférence tout aussi dangereuse.

1ère station : Jésus au Jardin des Oliviers

L’olivier, représente un double symbole. La culture méditerranéenne et la paix. Or, plusieurs pays situés autour de la Méditerranée connaissent des troubles sanglants, notamment la Palestine où est né Jésus.

2ème station : Trahi par Judas, pour 30 deniers, Jésus est arrêté

La trahison n’est pas seulement celle d’individus. Elle peut concerner des collectivités. Et souvent, des sociétés ou des pays entiers. Son objectif est la recherche du profit, de l’intérêt. La traîtrise qui permet de l’obtenir est justifiée par le résultat final. S’il est positif, l’emploi de la félonie sera oublié ou admiré, comme la preuve d’une intelligence supérieure. La trahison s’appellera alors « renversement d’alliance ». Son auteur sera surnommé Machiavel, Metternich ou Fouché.

3ème station : Jésus est condamné par le Grand-Conseil

La justice des hommes est le reflet de leur nature, mais aussi celui de leur époque. De sorte qu’elle varie suivant le contexte dans lequel elle est rendue. Elle n’obéit donc pas toujours à des principes moraux intangibles, mais à l’idéologie du moment. Ce qui amène les hommes à réexaminer postérieurement des faits déjà jugés avec une vision et une mentalité différentes. Les procès religieux, politiques, scientifiques, reçoivent des jugements évolutifs, suivant le moment ou les circonstances

4ème station : Par trois fois avant le chant du coq, Jésus est renié par Pierre

Le reniement prend plusieurs visages et atteint les domaines les plus divers. Les amis ne sont pas les seuls à être oubliés, écartés. Les idées aussi. C’est le renoncement de soi, l’abdication d’un idéal, de sa culture, de ses valeurs. Souvent pour le gain, le goût immodéré du bien-être matériel ou, tout simplement, la tranquillité, sinon la lâcheté.


5ème station : Jésus est jugé par Ponce Pilate qui s’en lave les mains

Le véritable juge applique la loi, est objectif et indépendant. Pilate n’en est pas un. Il sait pertinemment que celui qui est mené devant son tribunal est innocent. Mais il préfère obéir à la populace pour éviter des remous politiques dans le territoire qu’il administre. Il ne rend pas un jugement qui s’impose à un peuple. Il estime la raison d’état supérieure à la Justice, alors que ce doit être l’inverse. Les décisions judiciaires exprimées pour sauvegarder un groupe social, qui prime l’individu, aboutissent, paradoxalement, à l’injustice envers tous les hommes. Ce sont les affaires Callas, Dreyfus. Et tant d’autres ignorées.


6ème station : Jésus est flagellé et couronné d’épines par les soldats romains

La sentence ne suffit pas. Il faut y ajouter l’opprobre, la déchéance, l’avilissement. Ainsi, pourrait-on croire qu’une condamnation à une peine d’emprisonnement – privation de la liberté, élément essentiel de la condition humaine – est suffisante. Pourtant, elle s’accompagne de dégradations humaines irrémédiables engendrées par le surpeuplement des prisons : promiscuité, saleté, mélange avec des détenus dangereux, abus et crimes sexuels, tentatives de suicide, absence de réinsertion. Le condamné est marqué à vie, avec le risque inévitable d’être exclu à jamais de la société.

7ème station : Jésus est chargé de la croix

Tout un chacun est amené un jour à porter un fardeau humiliant et pénible, dont il est difficile à se débarrasser, au point qu’il se transforme en épreuve. Laquelle paraît interminable, tant elle semble ardue et insoluble. Or, c’est en la surmontant que l’homme se dépasse. Elément externe, elle vient se greffer à une vie paisible et bouleverser son agencement habituel et normal. L’épreuve peut être diverse. Physique : une maladie. Matérielle : une faillite. Morale : une calomnie. Familiale : l’accident d’un enfant.

8ème station : Simon, un Cyrénéen, est réquisitionné pour aider Jésus à porter la croix

C’est à un étranger qu’il est ordonné de participer à l’épreuve subie par un réprouvé. Il lui est enjoint d’accomplir une tâche abaissante et difficile. Les travaux rudes, répugnants, sont laissés aux étrangers par une population aisée et repue.

9ème station : Jésus rencontre les femmes de Jérusalem qui se lamentent

Seules les femmes s’apitoient sur le sort du malheureux. Ce n’est pas de la sensiblerie propre à leur sexe. Au contraire, celui-ci les prédispose à comprendre, mieux que l’homme, la souffrance. D’abord lorsqu’elles enfantent dans la douleur. Ensuite, parce qu’appartenant encore, dans de nombreux pays, à une catégorie de seconde zone, sinon inférieure, elles rejoignent les exclus. Jésus, considéré comme un paria, reçoit l’aide d’un immigré, recueille la compassion des femmes.

10ème station : Jésus est cloué à la croix

Une mort lente par la torture lui est de la sorte infligée ainsi qu’aux deux malfaiteurs qui l’entourent. Dans les prisons aussi, sont mêlés primo-délinquants et récidivistes, adolescents et adultes, détenus politiques et de droit commun. Un mélange dangereux qui se révèle une école du crime et empêche la réinsertion.


11ème station :
Jésus promet son royaume au bon larron

Les parias, les exclus, doivent être réinsérés, réintégrés. Leurs semblables ont l’obligation de les admettre parmi eux, justement parce qu’ils sont des hommes. Comme eux.


12ème station : Jésus en croix, désigne à sa mère son disciple

Le disciple regroupe plusieurs définitions, dont le sens diffère suivant l’objectif que le maître, le chef, leur assigne : du simple adhérent au séide. Ce dernier, comme l’affidé ou le suppôt impose par la force les idées d’un groupe, d’un parti, et disparaît en même temps que lui ou son dirigeant. Le militant, le compagnon, le camarade, le partisan, le fidèle transmettent une idéologie ou une religion qui survit à la personne qui l’incarne. Car elle dépasse et transcende les hommes.


13ème station : Jésus meurt sur la croix

Le corps peut mourir, mais l’esprit, non. Chacun laisse une trace de son passage sur terre. Ses enfants, son œuvre, ses actes. Quels qu’ils soient

14ème station : Jésus, enveloppé d’un linceul, est mis au tombeau

Le tombeau se referme sur une vie. Il est le dernier endroit où les proches du défunt iront se recueillir. Il pourra être aussi un lieu de culte ou de commémoration. Même disparu, enterré, l’homme survit à la mort. Par ses actes, sa pensée, la transmission de son enseignement. Il a pu être un modèle, un exemple.




15ème station :
La Résurrection


Lorsque tout est détruit, tout est ensuite reconstruit. Sur la ruine, la désolation, la faim, les génocides. La vie est plus forte, grâce à la ténacité et au courage. La force de l’homme est de renaître.

Jean-Jacques Ninon